Jour 1

Luleå, suède.

La nuit grignote la lumière. Le soleil ploie son éternelle mort. Il s’incline et fléchi comme une mélodie incessante et répétitive. L’obscurité engloutie tout, dehors.

Je regarde à travers le hublot. La ligne d’horizon déteint dans l’atmosphère. Un mélange de rose, d’or et de bleu. A la fois merveilleuse et altière, une agonie lente et mystérieuse s’étale sous nos yeux. Comme si le ciel prenait feu.


18h55

Après une correspondance à Stockholm, nous arrivons à Luleå.

L’avion se pose avec aisance et tranquillité sur la piste de bitume froide et bordée de glace. Nous y sommes.

Dix jours.

Dix jours dans le grand froid du nord.

Je regarde les sacs et les valises qui défilent sur le tapis roulant. Derrière moi, un homme grand. Il est habillé d’un treillis vert et de bottes militaires. Il est, sans le savoir, de ces personnes que je croise et que je n’oublie pas. Allez savoir pourquoi. Je tire sur les bagages qui s’échouent lourdement sur le carrelage. L’aéroport est petit mais très chaleureux et accueillant. Comme tous les endroits dans ces pays-là. Des cœurs de lumière rouge sont suspendus au plafond. Pleut-il de l’amour en déraison ? Je tourne la tête et je me heurte à ce couple de petits vieux. Ils se tiennent la main. Ils semblent chercher quelque chose ou quelqu’un. Je sens monter en moi une sensation étrange ; un mélange d’empathie, de sel et d’admiration. Il faut être con. Parfois c’est ce que je me dis. Ressentir si intensément chaque image, chaque souffle, chaque son. Je détourne le regard. Comme si les regarder trop longtemps aurait pu me fendre intégralement. Je repense aux micro fissures qui, ce jour-là, serpentaient et ouvraient ma peau tout en dessin. Je me suis demandé si c’était ça craquer pour quelqu’un ?

Quelques instants plus tard, je laisse mes petits vieux pour récupérer la voiture de location. Direction le Scandic Hotel de Luleå. Trouverais-je un peu de calme là-bas ?


La KIA CEED s’enfonce dans l’obscurité des routes enneigées. Je conduis. Je n’ai pas pour habitude de prendre souvent le volant. Je suis de celles qui se laissent happer par les racines du ciel et les vides de la terre, celles qui se nourrissent de paysages qui défilent, celles qui écrivent la route, les nuits et les jours, les solitaires, qui ne parlent pas toujours. Mais qui attendent de sentir une main rassurante se déposer sur une joue, une cuisse ou le cou. Ce soir j’ai décidé de m’écouter. De dire. D’apprendre à formuler, avec ma voix, mes limites et mes envies. Du moins, j’essaie. Alors me voilà installé devant le volant de cette auto, roulant dans la nuit. C’est un peu comme si j’avais pris le contrôle pour devancer mes peurs. Cavalcades du cœur. Qui cherche et mendie l’extase. Des entailles de froid viennent ouvrir les écorces de mon ennui. Peut-être que d’une certaine manière, je fuis. Dans la brume, dans la nuit, à la recherche des secousses, des larmes et des rires qui s’échappent du corps, qui nous délivrent et qui réparent.

Putain, de quoi j’ai peur ?

Je crois que j’ai peur de la mort. Non pas pas la fin de ma vie, ni les morts qui emportent mon corps en soubresauts. Je crois que j’ai peur ailleurs. C’est sans doute pour ça que j’ai du mal à écrire avec ma voix. A prononcer des mots. C’est sans doute pour ça que mes doigts se fatiguent avec des claviers et des stylos.

J’ai peur d’oublier. D’être oublié. J’ai peur de la sournoiserie de l’habitude. Pas celle qui réconforte et qui rassure. Mais celle qui abîme et qui use. J’ai peur de prendre la poussière. De mourir toujours un peu sans même m’en rendre compte. Je ferme les yeux. Soupire. Je me souviens.

Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas.

Laisse moi au moins ça. Un petit quelque chose qui me maintienne EnVie. Les bras tendu vers le désir et priant. Le corps penché vers l’avenir suspendu. Le cœur hissé et battant. Attendant les bras qui me soulèveraient de terre et me feraient danser jusqu’à plus de souffle. Ces mêmes bras qui me rattraperaient et m’ancreraient, sans m’attacher, si je partais trop loin dans les étoiles. Dans ma recherche du bien et du mal.

Le désir

Je l’ai déjà écrit, j’ai en moi quelque chose d’insatiable. Certains parlent de déviance, d’autres de crises existentielles, moi je sais que c’est la foudre. Le grondement du désir, qui est différent de l’amour. J’ai comme la sensation d’être engloutie dans des vagues immenses et d’avoir l’impossibilité de sortir la tête de cette eau salée. Je remonte parfois à la surface, essoufflée, exténuée par ce désir, cette faim d’homme… et je m’assois quelque part à l’intérieur de moi, en attendant que ça passe. Mais quoi qu’on fasse, si la foudre est nécessaire à notre ADN, alors ça revient. Toujours.

Photo : Antonio Bento

Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que le désir n’est pas contre l’amour. Il est juste un vertige irrépressible. L’amour n’est pas contre l’amour. Un nouvel amour n’est pas contre le précédent, ni le présent. Il est juste pour lui-même. Entier. Il existe, simplement. Certains préfèrent la prudence de la vie à la fureur du désir et des chagrins. Certains plongent dans les livres, plutôt que dans les bras des hommes.

Photo : Antonio Bento

Moi, j’essaie de trouver mon équilibre…

Je suis en quelque sorte libre et prisonnière de moi-même.

Je crois que la route m’aide en ça.

Ne pas me noyer.


20h30

Il fait froid. Les rues sont désertes. L’architecture des immeubles et les devantures des boutiques me font penser à celles du Danemark et parfois du Canada. Les habitations n’ont pas de volets. Des lumières allumées sont postées à chaque fenêtre, comme si les habitants des maisons faisait des voeux, à chaque fin de jour, priant sans doute pour qu’il revienne, laissant une lumière allumée, telle une bougie ou un phare dans la nuit, qui guiderait le soleil de nouveau jusqu’à eux. Les balcons sont décorés de guirlandes lumineuses qui brillent et perce l’obscurité ambiante. Si on regardait la Suède vue de haut, elle serait piquée d’or et de souhaits. 

Nous marchons dans l’artère principale de la ville et nous rejoignons les voitures. Nous avons dîné dans le seul restaurant encore ouvert. Une déco toute aussi stylée que sa playlist Rock’n’roll. C’est vrai qu’à cette heure-ci, les gens sont déjà chez eux. Ici, le temps semble s’écouler de façon différente. A l’instar du climat, rude et glacial. Il se resserre et se dilate de façon inexplicable.

Nous rentrons à l’hôtel où beaucoup de français semblent s’être donnés rendez-vous. Le lobby est calme, plus loin, un groupe de jeunes, tout âge confondu, s’amuse d’un Loup garou. Près du feu artificiel, une maman et son petit garçon, cartes en main, se parlent. Au premier, le restaurant diffuse une musique dont les paroles en français inondent les cœurs d’humeurs festives. Le karaoké monopolisé par des enfants enchante les adultes devant leurs verres qui chantent le refrain à tue-tête. Je suis postée devant ce drôle de spectacle, affublé de mes bottes, mon bonnet et mon manteau. J’ai chaud. A l’intérieur, le chauffage tourne franchement. Ou peut-être est-ce la joie brûlante de tous ces gens. Je murmure les paroles du titre qui se joue. Au loin, un homme me regarde et me fait signe de venir. Je souris. 

Je vais aller me mettre au lit.

22h30

Je regarde par la fenêtre. Tout est calme. Endormie. La neige avale les hurlements et le bruit des humains. C’est un temps à rester nus, au chaud, entre couette et coussins.

Je crois qu’au fond je rêve d’entendre une voix qui me citerai ce passage du journal d’Anaïs Nin :

“Si je le peux, Ana Maria, je ferai chavirer le monde pour toi.”

Est-ce que j’en demande trop ? Je veux dire, est-ce que mes émotions traversantes et toutes en marrées, aussi intenses, profondes et sauvages que l’océan ne sont destinées à personne d’autre que moi-même ? Est-ce qu’aucune personne sur cette planète n’a assez de puissance, de douceur et de patience pour accueillir mes silences, mon chaos et mes folies ? Peut-être ne suis-je qu’un incendie. Un feu tranquille et qui réchauffe. Mais qui peut, en une fraction de seconde, tout cramer et tout détruire. Parce qu’au fond, mieux vaut brûler franchement, que de mourir à petit feu…

Je cherche parmi l’hiver. Une humeur. Un souvenir. Un détail. Un vœu.

Peut-être que d’une certaine manière, je cherche une sorte de fil invisible qui pourrait me rattacher au ciel. Me maintenir hors de mes gouffres et me préserver, passionnée et exaltée, de la mélancolie qui accable les fins de journées.

Pense-t-il à moi ?

Je glisse dans les draps. J’ai froid.

Parfois j’aimerais faire avancer le temps. Reculer le temps. Ou même le rendre immobile.

Mon appétit pour la route est le même que pour le désir. 

Il gronde. Il se plaint. Il hurle. Il chante. Il me hante. Je suis une femme hantée. Possédée par ce qui lui manque. 

Perdue entre les dernières lueurs du jours et un battement de cils. 

Depuis plusieurs heures, il fait déjà nuit. J’ai perdu toute notion du temps. Je me sens…  si loin. Loin de tout. Il y a comme des tas de chemins impraticables dans mon corps. Des contrées sauvages, des routes ne menant nulle part. Des escaliers de désir insatiable. Des angoisses et des névroses. Tout un tas de prières et de portes closes. Alors oui, je me sens loin. Loin de certaines de promesses. Loin d’une partie de moi. 

J’ai enduit ma peau de crème et mon visage d’huile d’Argan. J’enfile mon pyjama. Un haut noir et un pantalon rouge au style tartan. Je me couvre de sorte que le froid ne puisse pas s’infiltrer par des interstices, des trous. Des petits trous semblables à des sorties ou peut-être bien des entrées de secours. Des petits trous desquels s’échappent et entre l’amour. Après tout, tout dépend du point de vue ? J’aimerais qu’il me prenne dans les bras. Je veux sentir les ravages du désir qui le déchirent et l’agitent contre moi.

Je me retourne et fais face à mes doutes.

Demain. La route.