Les derniners jours…

Sur un air de « The willing victim » de von hertzen brothers.

Laisser la route entrer en moi.

Ma pensée du jour. Ma prière du jour.

Aujourd’hui, nous ne quitterons pas la voiture et nous nous enfoncerons de plus en plus dans un no man’s land où la forêt et les étendues neigeuses règnent maîtresses.

Plus loin, la route nous offre un cadeau dont je me souviendrai encore pendant longtemps. 

Nous arrêtons la voiture et nous nous armons de nos manteaux, gants et bonnet.

Je suis debout sur le pont croulant de glace et de neige. Tout est désert. J’ai envie de pleurer. Si mes larmes coulaient, elles gèleraient instantanément. Elles ressembleraient aux lames d’un rasoir brûlant et déchirant mes joues. Ouvrant mon visage à la verticale.

Nous nous avançons plus loin et nous descendons au bord de l’eau. Je regarde autour de moi avec l’impuissance et la stupidité humaine de n’être que ça… humaine. Petite. Anecdotique dans ce paysage abondant de toute-puissance et de splendeur sauvage. Ce paysage pilleur de mots. J’avais l’impression que les courants de cette rivière, les bras des arbres et l’œil du ciel, s’étaient accordés pour s’introduire en moi, allant jusque dans ma gorge, pour m’arracher la langue sans remords, aucun. Me laissant ensanglantée, douloureuse et dans l’impossibilité de parler. Me laissant ainsi face à la magnificence insolente de cette beauté naturelle. Un geste aussi brutal que banal. 

Je regarde devant moi. Je pourrais rester là longtemps. Assise dans la neige. Dans ce calme. Dans cette grandeur qui avale mes gouffres et mes trous sans fond. Je me sens éteinte. Froide. Et soudain, mes maux ne sont plus que des mouchoirs usés et froissés qui traînent dans les coins d’une immensité incontrôlable. 

Je me demande si la magie peut guérir les êtres en morceaux. Si les sources de la terre, qui pardonne sans cesse nos erreurs, nos prétentions, nos pollutions, nos destructions… peuvent encore avoir la force de guérir une petite personne assise sur ses genoux, avec le respect, l’admiration et la demande d’absolution semblable à celle des personnes pieuses et dans le don absolu d’eux même. 

Et puis je me fais la réflexion que l’analyse détruit l’unité. Certaines choses, certaines évidences, certains orages, certaines magies, ont besoin d’être vécus comme un tout. Si on les fragmente, on les dissèque, on cherche à tout prix à comprendre, voir, expliquer ; elles disparaissent.

Alors je suis restée assise. Je me suis tue. Comme une prière de silence destinée à l’immensité. J’ai respiré. Et j’ai pleuré.

*

Je crois que j’ai besoin d’une réponse à toutes les prières silencieuses. J’ai besoin d’une chanson, d’un murmure, d’un souffle qui glisse dans le cou et de baisers qui dévorent. Des baisers affamés, brusques et sauvages. Des baisers qui ne sont pas sages. Je veux de la retenue, de la rage et de la transe. Je veux des danses. J’ai besoin de fermer les yeux et de me sentir en sécurité au bord de chaque précipice. Au milieu du quotidien. J’ai besoin… de caresses qui brûlent et descendent dans les reins. Des particules de désir en explosion et sans fin. Je veux des étreintes qui étranglent. Je veux des lettres d’amour et de corps. Avec les mains, la langue, en dedans et en dehors. J’ai besoin de tout ça. Pour être Elle. Pour être Moi.

*

La route. Le ciel. La terre.

Une sorte de Blizzard semble se lever. Les routes sont sclérosées de glace. Tout est blanc. Les arbres sont attrapés par le vent, la neige et le froid. Il est 16h09 et nous avons l’impression que la nuit ne va pas tarder à dévorer la terre. Le goudron immaculé est si verglacé qu’il n’y a pas de différence avec le bas-côté. La poudreuse se dépose partout. Elle recouvre tout autour de nous. Comme si elle avalait soudainement tout ce qui l’entoure. Ne laissant aucune chance à qui ou quoi que ce soit. Tout se perd dans une sorte de brume blanche et mouvante. Le ciel et la terre se confondent. Seuls les phares des voitures, les arbres, et les maisons rescapé.es, nous permettent de regarder ce paysage avec du sens.

L’existence avait-elle, elle aussi, des points d’accroche pour prendre la bonne route, les bonnes décisions ? Pour y voir du sens ?

*

Après que le soleil soit venu lécher la cime des montagnes et que nous ayons profité de ses douces glaires d’or, la vallée s’endort.

16h26

J’ai l’impression qu’il est 19h00 ou 20h00.

Nous roulons depuis des heures. 

Nous avons mangé sur le pouce au bord d’une route et sommes repartis aussitôt. Je me sens fatiguée. Peut-être lasse de penser à ce quotidien dans lequel je vais bientôt replonger. Je me sentais tellement privilégiée ici. Comme suspendue. Suspendue quelque temps, au-dessus des questions, des charges, des poids de l’existence. Mon visage se pose sur le siège et se tourne vers les paysages qui défilent ; grandiose est la sensation qui explose à l’intérieur de moi.

Nous retrouvons de la civilisation.

Nous arrivons dans notre dernier logement. Une maison familiale perdue dans les arbres et la neige, à une trentaine de minute de la grande ville. Je ressens quelque chose d’étrange entre ces murs. Comme si quelques fantômes erraient ici et là. Peut-être est-ce moi. Peut-être que mes fantômes, mes anges et mes démons s’échappent de moi. Comme des traces, des empreintes que je laisserais à chaque endroits.

L’être est tellement plein de fuites… J’ai beau essayer de le cacher, je suis complètement percée. Je suis comme un passage. Une brèche. C’est peut-être pour ça qu’aucun homme ne peut vraiment me garder. Je deviens une source qu’on traverse et que l’on boit. Une fois rassasié, on sort de mon monde sans vraiment me regarder. Sans voir si je suis tarie. Je souris. Je fais comme si je n’étais pas bancale, mais je suis comme une vague. Je suis une sainte et une détraquée. Je pleure autant que certains peuvent prier. C’est comme un trésor. Ce corps. Et comme un fardeau. Ma peau.

Alors je m’installe en moi et je m’ancre à ce que je peux. J’essaie de rester debout. J’avance.

Les nuits blanches…

J’avance sur la glace. Dans cette immensité blanche. Autour, tout est calme. Je comprends enfin l’expression « nuits blanches ».

Je reste, un moment, silencieuse. 

Il n’y a plus rien à dire.

Je bâillonne mes pensées. J’étouffe les tambours de la passion. Je trimballe mon coeur troué sur tellement de route. La neige n’y change rien. Peut-être que je devrais ligoter ma peine et tout faire pour aller bien. Mais c’est plus fort que moi. Il y a cette petite chose qui traîne ici et là. Une dualité que je ne contrôle pas.

Je suis celle qui hurle et qui se tait durant des jours. Celle qui s’est engouffrée dans toutes sortes d’amour. Celle qui aime autant qu’elle meurt. Celle qui porte en elle un cœur détendu et trop grand… Par toute sorte de passion, de déraison, et d’amants. Celle qui à besoin d’être rassurée chaque matin et chaque soir. Celle qui broie du rose mais aussi du noir. Je suis cette femme là : indomptable, insatiable, intense et pourtant très calme. Une femme qui a besoin de quotidien autant que de passion. Un peu comme si je ne me laissais pas beaucoup de répit.

Il y a tout un tas de chemins impraticables dans le corps. Des contrées sauvages. Des routes ne menant nulle part. Des escaliers de désir insatiable. Des angoisses et des névroses. Tout un tas de prières à l’envers et de portes closes.

Elle. Elle était comme ça. Je suis comme ça.

Libre et prisonnière de moi-même.

Nous marchons dans le froid de Luleå.

Nous y revoilà.

Le point de départ. Enfin, tout dépend d’où on vient et où on se place… Je regarde la nuit. Les lumières se déposent sur le lointain comme des petites clochettes d’or qui brûlent dans l’obscurité silencieuse.

Le lac dort paisiblement sous sa carapace de glace et sa couverture de neige. Je l’envie. Rien ne semble pouvoir le déranger, ni même le briser. Pas même le poids insoutenable de ces millions d’humains connectés qui foulent la terre sans même la regarder. Pas même Moi.

J’avance sur le lac gelé. J’ai envie de pleurer. Je conscientise la chance que j’ai d’exister ici, maintenant, à cet endroit du monde. Je regarde autour de moi. L’immensité m’avale avec appétit. Je voudrais disparaître, un moment de ma vie. Abandonner les charges, les souffrances, les frustrations, les envies plus fortes que ma raison.

Bientôt nous retrouverons notre quotidien. Les lessives, le ménage et le chien. Mes animaux sont bien les seuls qui m’aident à ne pas sombrer. Mais je sens déjà un manque d’immensité. Il s’ajoute au manque de feu et de joie. Au manque de Toi. Demain sera un jour de route. De doute. Un jour de départ et de retour à la maison. Un jour de larmes et de transition. Un jour à retrouver ma raison.

*

Je traîne dans l’aéroport. J’aime ce genre de lieu. Ces endroits transitoires. Ces endroits remplis d’histoire.

Deux heures de retard. 

Étrangement, ce n’est pas pour me déplaire. Je prolonge ce moment de l’attente et du retour. A croire que quelqu’un là haut, m’a entendue et fait traîner les choses en longueur. Étire le temps. Ne pas replonger immédiatement dans la réalité et les obligations.

J’aime ce genre de parenthèses. De bulle. Où tout semble pouvoir arriver. Des heureux hasards. Je me raconte des histoires. Je regarde les gens qui vivent en ce moment même, ici et dans ce lieu. J’ai toujours aimé ces endroits d’existences provisoires.

Parfois je me demande si le problème n’est pas que cette femme en moi a trop aimé. J’ai entendu parler de cas de personnes qui ne se remettent jamais de la mort ou du départ d’un être aimé. On parle de cœur brisé. Je réfléchi et puis je fini par conclure que, peut-être, ce n’est pas d’avoir perdu telle ou telle personne qui m’a brisé, mais d’avoir perdu l’amour tout court. La passion. Le feu. La décadence d’un amour furieux. Un amour qui fait mal et qui guérit au même instant. Un amour éclatant. Et cette question qui revient toujours… et maintenant ?

Pourtant je l’aime. Je l’aime tant.

Je termine ma tasse de café. Les doigts crispés sur le gobelet en carton. Je tasse mes pensées au fond de moi et je desserre les doigts. Je respire. 

Les gens s’amassent devant la porte indiquée sur le billet et par la voix de l’hôtesse qui parle au micro. C’est pour bientôt. Ce retour à la réalité. Dans ce pays où la neige n’existe pas. Où les gens ne se voient pas. Où la société assomme les enfants de contraintes scolaires, sans même les laisser au grand air. Où le rapport entre les êtres ne se résume qu’à l’autorité et non le respect. Dans un pays où les ordures poussent à la place des fleurs, les fast food remplacent les théâtres et les bars et où le végétarisme est considéré comme une tare. 

Bientôt je retrouverai les sanglots du mois d’avril. Bientôt je vais prier pour y trouver une île. Je boucle ma ceinture. L’engin d’acier prend de la vitesse. Il semble foncer droit dans la vie. Être sur de lui. Sans doute, tout ce que je ne suis pas. Et voilà… je n’ai plus pieds.

Je vole.